
Pour George Kachmazov, fondateur de l’agence immobilière internationale Tranio, « des technologies à base de registres distribués seraient utiles pour quasiment tous les types d’activités liées à l’immobilier, y compris les transferts de fonds, l’enregistrement des biens et la finalisation des accords commerciaux. » Immobilier et blockchain semblent en effet en parfaite adéquation. Les crypto-monnaies autorisent des transferts de fonds importants, de personne à personne, sans banque et à frais réduits. Les blockchains, elles, forment des registres permanents et inviolables, permettant de conserver des traces sur de longues durées. Enfin, les smart contracts, ces contrats adossés aux blockchains et programmables à l’infini, peuvent faciliter et automatiser les transferts de propriété (ou les locations) conditionnés au versement de paiements.
Deux-pièces meublé, bon quartier, géré sur blockchain
De fait, de nombreuses expérimentations ont été menées en ce sens, confirmant l’intérêt pour la technologie de la part des acteurs du secteur immobilier, des collectivités locales et des administrations nationales.« En implémentant des applications additionnelles sur blockchain pour l’industrie de l’immobilier, les délais de transactions et les coûts peuvent être encore réduits »Fin 2016, la ville de Rotterdam aux Pays-Bas, en partenariat avec Deloitte et CIC, devenait la première au monde à enregistrer des contrats de location immobilière sur une blockchain. « L’étape d’après, c’est le suivi des loyers. En implémentant des applications additionnelles sur blockchain pour l’industrie de l’immobilier, les délais de transactions et les coûts peuvent être encore réduits », expliquait-on à l’époque chez Deloitte.
De la même façon, la Géorgie est devenue le premier pays à enregistrer les titres de propriété sur une blockchain, d’abord de façon expérimentale en 2016, puis avec la signature d’un accord en 2017 entre l’agence nationale en charge de ces questions et la société BitFury, pour élargir le principe aux terrains, aux démolitions, aux crédits et à l’achat-vente de biens immobiliers.
En Suède, après plusieurs phases de test menées en 2016 et 2017, le bureau national gérant terrains et immobilier (Lantmäteriet), bascule aujourd’hui sur des registres distribués. Le projet repose sur une blockchain privée et implique l’opérateur télécom Telia et deux banques suédoises. Tous les enregistrements relatifs aux propriétés sont mémorisés sur la blockchain et consultables sans limitation de durée par les acteurs du marché (banques, agences immobilières ou propriétaires), l’idée étant, à terme, de permettre les transactions immobilières sécurisées via une simple appli mobile. « La blockchain est la seule technologie disponible offrant une façon correcte et sécurisée pour conserver des originaux numériques. Et c’est aussi la meilleure technologie à ce jour démontrant sa résistance au piratage et à la corruption des données », explique Mats Snäll, directeur du développement de Lantmäteriet, convaincu qu’on verra « des solutions commerciales à base de blockchains dans les agences immobilières à partir de 2020. »
« La blockchain autorise la gestion de la propriété et des disputes d’une façon équitable et transparente, et sert de sauvegarde quand l’original est détruit ou égaré »Même démarche au Brésil, où le Bureau d’enregistrement immobilier a testé avec succès, en 2017, un dispositif basé sur une blockchain privée, elle-même adossée à Bitcoin. Là aussi, tous les enregistrements et modifications relatifs aux biens immobiliers sont consultables via la principale blockchain mondiale, ce qui contribue à renforcer la transparence du marché. « Conserver des titres de propriété – parmi les documents les plus importants qu’une personne puisse détenir – sur une blockchain est important sur des marchés en développement comme le Brésil. La blockchain autorise la gestion de la propriété et des disputes d’une façon équitable et transparente, et sert de sauvegarde quand l’original est détruit ou égaré », commente Nathan Wosnack, président et fondateur d’Ubitquity, une entreprise créée spécialement pour adapter des solutions blockchain aux problématiques immobilières.
Investir dans l’immobilier quand on est fauché
Sans surprise, start-up et créateurs de crypto-monnaies se sont engouffrées dans cette voie prometteuse, promettant de sécuriser les échanges tout en réduisant la paperasse administrative. Propy, par exemple, entend accélérer la décentralisation du marché immobilier en facilitant l’acquisition de biens depuis l’étranger à coups de blockchains et de smart contracts - le tout avec sa propre crypto-monnaie, un token basé sur Ethereum, nouvellement créé après une levée de fonds de 15 millions de dollars par ICO (Initial Coin Offering).Propy a beau simplifier les transactions, les duplex à 2 millions de dollars ne sont pas à la portée de toutes les bourses, avec ou sans "smart contracts"Les esprits chagrins pourront regretter que les blockchains ne changent pas entièrement l’équation de l’accession à la propriété. Propy a beau simplifier les transactions, les duplex à 2 millions de dollars ne sont pas à la portée de toutes les bourses, avec ou sans smart contracts. Mais plusieurs autres projets comptent s’appuyer sur le potentiel des blockchains pour changer ça.
BitProperty veut, par exemple, former une « plate-forme de tokenisation sur la blockchain Ethereum, permettant à quiconque de créer, acheter ou vendre des flux de revenus issus de l’immobilier. » L’idée est de démocratiser et fluidifier l’investissement immobilier via la création d’assets gérés sur des blockchains. Comme pour les CryptoKitties et autres jeux utilisant des blockchains pour gérer la propriété de biens immatériels, on généralise ici l’emploi des blockchains pour échanger des morceaux de propriétés immobilières ou foncières. Avec un double intérêt : élargir le marché pour les développeurs immobiliers (qui, en plus des investisseurs institutionnels, peuvent s’appuyer sur un réseau de petits investisseurs de taille infinie), et rendre possible l’investissement immobilier pour tous. « Si un investisseur veut prendre un contrat à 200 dollars ou lieu de 200 000 dollars, il doit juste acheter pour 200 dollars du token de ce contrat sur la plate-forme BitProperty », explique le livre blanc.
Uberiser Airbnb
Le tableau serait sans doute incomplet sans l’irruption des blockchains dans la location immobilière. Par essence, un contrat de location est simple, établi entre deux personnes et assujetti au paiement de loyers à échéances fixes - idéal pour être géré sur une blockchain, automatisant les processus, éliminant les tâches fastidieuses et réduisant contestations et désaccords. Mais à l’heure de la sous-location généralisée, d’Airbnb et du couch-surfing, blockchains et crypto-monnaies pourraient aussi créer le chaînon manquant pour simplifier et sécuriser les transactions entre particuliers, tout en évitant les intermédiaires inutiles.La plate-forme Bee, en cours de création par d’anciens employés de Google, Facebook et Uber, entend « construire sur le Web décentralisé un réseau peer-to-peer sans intermédiaire d’hébergeurs et de locataires »La plate-forme Bee, en cours de création par d’anciens employés de Google, Facebook et Uber, entend ainsi « construire sur le Web décentralisé un réseau peer-to-peer et sans intermédiaire d’hébergeurs et de locataires. » Concrètement, l’idée est de créer un Airbnb décentralisé, où toutes les transactions seraient effectuées sur une blockchain, servant également à résoudre les conflits éventuels, le tout en réduisant les frais. « Le réseau charge 0% de commission pour les hébergeurs et les loueurs utilisant le token Bee, grâce aux smart contracts qui automatisent les transactions en contournant les plates-formes basées sur des commissions, les institutions financières et les échanges de devises internationales », décrit le livre blanc du projet. L’ICO du token Bee est en cours (elle a déjà permis de lever plus de 10 millions de dollars), l’ouverture du service étant prévue à San Francisco dans les mois qui viennent, avant son l’élargissement à cinq autres villes américaines, Londres et Singapour d’ici à 2020.

Si le Web 3.0 est appelé à être largement décentralisé, il pourrait donc en être de même de l’immobilier qui, en s’appuyant sur les blockchains, pourrait devenir plus souple, plus transparent, plus équitable et mieux adapté aux besoins d’aujourd’hui.
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